Le
petit-déjeuner est savouré au proche caffè Nero. Nous sommes installés à une
table sur le trottoir devant le vitrage du café. Patrick effectue la commande
auprès de Patrycja. Une dame à la chevelure brune bouclée, bien en chair, le
dos courbé, passe devant moi avec une valise à roulettes et un sac à dos. Elle
s’arrête et me demande « some change » « quelque argent ».
Sa dentition est quasi inexistante. Son âge balance entre quarante et cinquante
ans, voire plus ou moins. Je lui réponds « not actually » « pas
maintenant » en palpant les poches vides de mon pantalon fantaisie. Elle
répond « Ok » et reprends lentement le chemin de son univers. Je la perçois
avec une acuité lucide, à la fois très présente et très absente dans la société.
Je la ressens ni heureuse ni malheureuse comme déconnectée de la vie trépidante
des actifs qui s'agitent et se démènent en tous sens. Avant de retourner au
Citadines, je prends la photo du caffè Nero.
L’objectif capture Patrick en mouvement ; il est à gauche sur la photo.
Au-dessus des tables rondes de bistrot et des chaises aux dossiers et aux
assises en lamelles plastifiées à l’aspect de petits damiers noirs et blancs, différents
mots, tels que « Mocha » et « Cappuccino », sont écrits en lettres
noires détourées d’or sur le vitrage où transparait derrière un bandeau en bois
blond. La narration de la journée d’hier reprend sur le chronojournal. Les
photos sont sélectionnées. Patrick en réduit le format et actualise le blog
pendant que je me délasse dans un bain. Vers onze heures trente nous quittons
le Citadines pour aller déjeuner au restaurant organic « Veggie Pret »
sur Broadwick Street distant d’environ un mile. Nous suivons Oxford street et
nous prenons à droite dans Soho Street. Nous longeons « Soho Square
Gardens » pour joindre Dean street. Nous traversons St. Anne’s Court et
nous arrivons à destination. Le beau Carlos m’accueille à la caisse avec un
radieux sourire. Nous savourons les mets sélectionnés au bord du vitrage qui
donne sur la rue Lexington : soupe à la tomate et sandwichs. Je regarde
les passants en mangeant. En face nous voyons la devanture du restaurant
taiwanais « Bao ». Une ligne d’attente est constituée sur le trottoir
du Veggie Prêt. Quand une table se libère un serveur vient chercher les
personnes de la tête de file ; étonnant !... Après le repas, nous
nous rendons chez Ryman. En passant devant Ingestre Place, nous voyons une
importante file d’attente sur une grande partie de la rue. Une rue plus loin,
nous voyons la file se continuer plus bas sur Peter Street. Interpelés et
curieux nous nous approchons. Nous sommes confondus et ébahis de constater que
toutes ces personnes, des jeunes principalement, patientent assidument pour
entrer dans le petit magasin « Supreme », ouvert sur deux niveaux au
début de Peter Street. James Jebbia fonda en 1994 le premier magasin à New
York. Depuis lors seulement dix magasins Supreme sont ouverts de par le monde.
L’article principal commercialisé est la planche à roulettes haut de gamme. Des
artistes, des célébrités et des designers participent à la création des modèles
fabriqués en petite série limitée. Chaque semaine, le jeudi, dès onze heures,
dans les dix rares boutiques, une chute mystérieuse des tarifs sur les
chaussures, vêtements et accessoires de la marque, toujours fabriqués
volontairement en nombre limité, attire la foule qui fait sagement la queue
dans l’espoir de pouvoir acheter quelque chose. Dénombrer une file d’attente
répartie sur plusieurs rues relève du défi ; toutefois tout laisse à
penser qu’elle est constituée de plus de deux à trois cents personnes. Encore
hallucinés par le succès frénétique de la méthode commerciale, nous nous
rendons à proximité au Starbucks tout vitré sur Wardour Street après des
emplettes chez Ryman sur la même rue. Nous sirotons des cafés Mocha
confortablement installés dans des fauteuils club en cuir fauve disposés au
bord de l’épais vitrage qui donne sur Wardour. Les minutes s’écoulent
agréablement dans le farniente. Les clients entrent et sortent. D’autres prennent
du temps pour siroter leur boisson tout en œuvrant sur un téléphone portable ou
sur un ordinateur. Un jeune homme barbu, la tête coiffée d’un écouteur relié à
son Smartphone, assis sur
une banquette avec trois autres personnes affairées à ses côtés, pianote alternativement
sur son téléphone et sur son ordinateur. Quelque part il est absent du café,
l’esprit continuellement captivé par ses produits high-tech. Nous bavardons de
temps à autre. Je regarde le défilement continuel des passants et des voitures.
Inscrits sur la carrosserie d’un des nombreux taxis qui circulent, les mots « Chase
down your day » « Epanouissez votre journée » interpellent. Après
plus d’une heure de détente nous sortons du café. Sur Oxford street nous
visitons inopinément le magasin « Tiger » où entrent et sortent de
nombreux clients. L’endroit est plaisant et ludique. Nous sommes des
explorateurs qui découvrons des milliers d’articles, parfois totalement
inutiles et pourtant attractifs. La marque, aux objets à la touche scandinave,
est présente dans une trentaine de pays avec plus de six cents magasins. Plus
loin sur Oxford street, où d’impressionnants travaux de constructions et de
rénovations sont en cours, nous entrons dans la boutique « Whittard of
Chelsea 1886 » où une famille francophone goûte du thé aux fruits rouges dans
de petits godets en verre de dégustation. La marque anglaise Whittard, présente
chez Globus à Genève, qui offre principalement à sa clientèle café, thé,
chocolat, porcelaine et confiserie, dispose de nombreuses boutiques au Royaume-Uni.
La société, fondée en 1886 par le marchand londonien Walter Whittard, a essaimé
également à l‘international. Nous poursuivons notre chemin et nous arrivons sur
New Oxford street où le très réputé magasin de parapluies anglais « James
Smith & Sons », à la magnifique façade historique, est toujours
présent. Deux des parapluies du dôme, dont celui à tête de chien, proviennent
de ce magasin. Nous prenons à gauche dans Coptic Street où nous découvrons à l’angle
avec Little Russell street un superbe édifice en briques ocre et miel qui
abrite un « Pizza Express ». Sur les façades du bâtiment on peut
encore lire « Dairy Supply Company Limited ». Durant plusieurs
siècles, les vaches paissaient dans le centre de Londres et les citadins venaient
s'approvisionner directement en lait à la laiterie ; sans le savoir les
clients de la pizzéria sont côtoyés dans une imbrication temporelle par les
vaches laitières du passé. Nous atteignons le British Museum. Devant les grilles
noires aux pointes dorées du musée, le camion de crèmes glacées « Super
Soft Ice » est installé sur le trottoir. Je me remémore une aventure
magique vécue par les sœurs Halliwell qui furent aspirées dans les limbes, un au-delà
aux marges de l'enfer, par un camion de glace similaire ; celui-ci est
privé de la musique enfantine diffusée dans Charmed. Au musée, une exposition
temporaire offre de découvrir les cités englouties et les mondes perdus de
l'Egypte. Une œuvre originale « sous-marine », entourée de poissons
et d’étoiles de mer, aux subtils hiéroglyphes, dévoile aux regards de superbes
nuances de turquoise au travers de la créativité des étudiants du collège « The
Mary Ward Centre » situé dans Queen Square à Londres. Un temps de détente
se dessine. Nous sirotons du thé au « Benugo Coffee » situé dans l’enceinte
du musée. Anna est notre hôtesse attentive ; pour ajuster le paiement elle
choisit dans ma main les pièces de monnaie adéquates. Un éblouissant étal de
pâtisseries variées charme les visiteurs ; la dégustation sera pour une
autre fois. Les minutes s’égrènent harmonieusement. Je promène mon regard au
travers des milliers de panneaux transparents du spectaculaire toit en verre et
acier qui coiffe la Grande Cour dédiée à la reine. La blancheur laiteuse du
ciel transparaît. Une passerelle enjambe le vide. Je feuillette le magazine du
musée. Je photographie un article qui évoque la première photo réalisée en autoportrait
en 1839 ; elle fut prise par Robert Cornelius qui retourna son appareil
photographique vers lui. Le cliché original est aujourd’hui à la bibliothèque
du Congrès à Washington DC. En sortant du musée nous suivons la rue Museum
Street. Nous entrons dans le magasin « Thomas
Farthing » dont la devanture bleu-acier attrayante révèle la présence d’une
ancienne bicyclette. Je suis séduit par un pantalon laine et coton bordeaux
rayé de blanc. Le vêtement est en solde. Je l’achète avec une paire de
bretelles blanches. L’ensemble essayé, du plus bel effet, me fait penser à
Sherlock Holmes. Le sympathique et efficace jeune vendeur porte un polo blanc
et un chapeau de couleur paille. Une flânerie s’offre à nous une fois sortis de
cette charmante boutique. Nous longeons Bloomsbury Way et devant l’église « St
George’s Church Bloomsbury », un bâtiment à colonnade ressemblant à un
temple grec, je détaille du regard en marchant un jeune homme barbu assis sur
les marches. Il me regarde aussi et son visage s’anime d’un sourire proche de l’éclat
de rire. Nous traversons le jardin « Bloomsbury Square Gardens ». Nous
atteignons Southampton Row, une rue proche du Citadines. Avant de retourner au
studio, nous effectuons quelques courses chez Sainsbury’s ; j’achète pour le
dîner, à l’étal au bord de Holborn, des myrtilles et des framboises de la ferme
familiale Mann dans le Shropshire. Une nouvelle soirée londonienne s’offre à
nous dans le confort de la résidence…
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