Le navire
entre au port de Falmouth sur l’île de la Jamaïque à neuf heures quarante-cinq.
Il glisse lentement sur l’eau pour se présenter à quai. Sa masse
impressionnante donne la sensation qu’une colline vient provisoirement modifier
le visage de la ville. Elle porte le nom de sa cousine Falmouth, la ville portuaire à l'extrême sud
des Cornouailles au Royaume-Uni qui vit naître Sir William Trelawny, le
gouverneur de la Jamaïque. Il contribua à son développement avec le colonel
Thomas Reid à l’origine des premières pierres en 1769. Pour la petite histoire
Falmouth, méticuleusement planifiée dès sa naissance avec de larges rues et un approvisionnement
en eau dans les bâtiments publics, bénéficia de l’eau courante dans la majorité
de ses habitations avant celles de New York City… La matinée est consacrée
essentiellement à la narration de la journée d’hier et à l’actualisation du
blog. A midi nous déjeunons au buffet. C’est une sorte de jeu de piste parmi
les divers îlots de nourriture pour détecter les mets végétariens. Je grappille
des têtes d’asperges, des tranchettes de pomme de terre sautées, de la macédoine
de dés de tomate, oignons et câpres, des petites têtes de brocoli, un dé de
tofu… En dessert nous savourons du pudding tiède aux raisins avec de la crème
anglaise. A une table voisine, un jeune enfant, accompagné de son père, regarde
la « télévision » sur un petit ordinateur. Il est « scotché » sur l’écran
par de probables dessins animés et, dans son émerveillement, il en oublie de
manger. Patrick remarque un membre d’équipage qui nettoie méticuleusement une
tâche sur une lame du plafond ; peut-être une giclée de ketchup… Après le
repas, le blog est actualisé avec la page d’hier. Patrick profite de ce laps de
temps pour s’offrir une petite sieste. Nous descendons ensuite à terre. Nous
sommes pris en photo devant le panneau de bienvenue à Falmouth. Un complexe a
vu le jour devant le navire qui obstrue l’horizon. Une tourelle en briques flanquée
de quatre horloges noires et un galion échoué devant la demeure en brique du
« Margaritaville Store », à l’entrée d’un Resort touristique du même
nom, sont photographiés. En dessous de l’enseigne on peut lire « Live Life
Like a Song » « Vit la vie comme une chanson ». Nous sortons
rapidement de la zone touristique. Sur l’esplanade qui conduit à l’entrée de la
paroisse de Trelawny je
prends en photo quelques informations historiques encadrées sur des supports verticaux
en bois foncé. Dans la paroisse, à la fin du dix-huitième siècle, près d’une
centaine de plantations fabriquaient activement du sucre et de la mélasse. Ces
denrées naviguaient vers le Royaume-Uni pour être transformées, notamment en
rhum. Les bénéfices de la vente de sucre et de rhum servaient à acheter des
biens manufacturés qui furent ensuite expédiés vers l'Afrique de l'Ouest pour
être troqués contre des esclaves. Ces hommes et ces femmes asservis naviguèrent
durant plusieurs semaines à fond de cale dans des conditions effroyables vers Falmouth.
Les survivants furent vendus aux planteurs de sucre pour augmenter la
production. Un cercle infernal pour l’être humain qui permit à la Jamaïque d’être le
premier producteur de sucre au monde jusqu’en 1840 où cette année décisive vit
l'émancipation des esclaves dans l'empire britannique. Nous déambulons dans les
rues. Des maisons dévoilent leur charme ; certaines en décrépitude,
oubliées, en côtoient d’autres en constructions dont une qui révèle des
colonnes aux chapiteaux corinthiens sur les deux niveaux de sa façade brut de décoffrage. La couleur est au
rendez-vous pour certaines. Les toitures en tôle, parfois colorées, sont
dominantes dans le paysage urbain ; certaines sont rouillées. Un homme âgé
s’active dans la rue devant un atelier à regarnir la carcasse d’un fauteuil aux
larges accoudoirs en forme de crosse. La vue du capitonnage en mousse et de la
suspension de l’assise emplit mon regard d’un brin de nostalgie. Nous laissons l’homme,
tel le tapissier d’un temps jadis en Haute-Savoie, pour cheminer sur Cornwall
Street. A l’angle avec Princess Street la garderie « Shermac Day
Care », doublée d’un centre de soin préscolaire, attire l’attention. Patrick
est pris en photo à l’angle des deux rues devant la bâtisse lambrissée pêche
qui dévoile des figurines peintes dont une de Minnie, la compagne de Mickey.
Devant le porche rehaussé de trois marches peintes en grenat, les lettres A-B-C
et les chiffres 1-2-3 se laissent lire sur un muret assorti à la base en pierre
bleu roi de l’édifice. Des photos sont prises, dont, pêle-mêle, une tourelle
octogonale, une école pour enfant, le bureau de poste abrité dans un bâtiment
jaune et blanc pourvu d’arcades, un kiosque dans un parc aménagé de bancs, une loggia
à la rambarde à colonnade, une habitation ravagée par le feu, une maison blanche
de caractère au volets à persiennes vert turquoise, une affiche pour des
concerts estivaux dont l’un des tickets d’entrée oscille autour de mille
dollars jamaïquain, soit quelques huit dollars US. Un marché local animé bat
son plein au niveau de Market Street. Nous croisons seulement un couple du navire
lors de ce périple au cœur des vieux quartiers. Les passagers sont sur les sentiers
battus, en excursions, à bord du bateau ou dans l’espace mercantile sur les
quais. Malgré un dépouillement relatif, défini ainsi au regard de la richesse
visuelle occidentale, j’apprécie de flâner parmi les autochtones qui, pour la
plupart, vaquent à leurs occupations journalières sans se préoccuper de nous.
Un monsieur dort sous le porche de sa bicoque, la tête penchée sur sa poitrine.
Les cafés sont animés sans la moindre présence étrangère. Par endroits, l’état accidenté
de la chaussée et des trottoirs demande à rester vigilant. Après environ une
heure trente de découverte, la forte chaleur nous incite à écourter notre pérégrination
au travers des rues. En pénétrant dans l’enceinte du port, une agente de la
sécurité demande à voir ma carte de cabine. Je prends conscience alors que
seuls les passagers ont accès à la zone commerciale développée sur les quais
autour du terminal de croisière. Une ombre qui obscurcit ma tendance à
idéaliser les choses. Le contraste est net entre la pauvreté rudimentaire du
centre historique et le visage clinquant du périmètre réservé aux passagers
dont les installations coutèrent un peu moins de deux cents millions de
dollars. Je suis chagriné par cette autre forme d’esclavage ; la liberté
personnelle des citadins est dominée par des forces contraignantes extérieures.
Nous nous installons dans la terrasse couverte du « Jabium Coffee »
pour le siroter un mocaccino, une boisson chaude composée de café Jabium
torréfié sur l’île, de lait et d’un ingrédient inconnu, le tout mélangé avec de
la poudre de cacao. Je prends quelques photos du coffee étoffé de produits à
vendre principalement à base du café de l’île. Une heure de détente s’envole
lentement dans la chaleur équatoriale. Le vent rafraichissant du large vient
agréablement nous chatouiller sans oublier de balader les détritus laissés par
les passagers. Patrick propose d’aller découvrir la boutique consacrée à Bob
Marley, l’enfant du pays né dans
la paroisse de Saint Ann un jour de février 1945 qui fit découvrir au monde le
reggae, un riche dérivé du blues. En chemin, je sirote du jus de coco acheté dans sa coque pour quatre dollars à un marchand ambulant. Après la visite du magasin, nous retournons tranquillement au navire. Nous
passons devant la boutique « Tina’s Gift Shop » où j’achète une
chemisette bleue décorée de motifs jamaïcains. Une fois dans la cabine Patrick
me photographie avec la chemisette. La fin d’après-midi se poursuit à la
bibliothèque du navire où nous jouons au « Hive ». Nous dinons au
buffet. Une part de tarte à la crème et à la banane, agrémentée de cerises
cuites en gelée et d’amandes effilées, termine le repas. La soirée nous offre d’assister
à un spectacle sur glace au Studio B intitulé « Dragons sur glace ».
Je pense au film « Eragon ». Quelques photos sont prises dans le
mouvement continuel des artistes grimés sur la glace. Lors d’une balade sur le
navire avant d’entrée au pays des rêves, nous estimons dans la galerie d’art au
pont quatre le poids de l’œuvre « Sherlock » réalisée par Nano Lopez,
une sculpture en bronze coloré d'un fox-terrier tenant une pipe dans sa gueule.
Le gagnant remportera une œuvre…
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