Au lever à
six heures, Patrick prend le disque lunaire en photo depuis le balcon de la
chambre. L’invasion chinoise se poursuit au petit-déjeuner. Malgré
l’interdiction d’emporter de la nourriture, les asiatiques s’en donnent à cœur
joie. A neuf heures nous sommes au supermarché Albertsons sur Broadway Street.
Le magasin est en rénovation ; la devanture et les rayonnages sont en
devenir. Le jeune Kohner, à la barbichette rouquine, encaisse le prix de nos
emplettes. A une courte encablure, un passage chez « Skyline Barber Shop »
tourne court. Le coiffeur est complet pour la journée. Ma coupe de cheveux est
remise à plus tard. Nous roulons sur la route US20 qui se chevauche avec la
route 26. Nous sommes à nouveau dans la plaine millénaire de « Snake
River » qui s'étend sur environ quatre cents kilomètres d'est en ouest.
En forme de croissant, riche de
roches volcaniques, elle couvre à peu près le quart de l'état de l'Idaho. Elle
est bordée de chaînes de basses montagnes qui
facilitent le passage des courants humides nés dans l'océan Pacifique. Vers dix
heures trente un arrêt est effectué à Arco, une bourgade de quelques mille
habitants, située à environ mille six cent mètres d’altitude. Des groupes de
deux chiffres, de taille géante, peints manuellement en blanc sur les roches
qui surplombent le village, nous interpellent. Il s’avère que la montagne
s’étoffe chaque année de deux chiffres supplémentaires. Les diplômés de chaque
promotion annuelle du lycée « Butte County High School » grimpent
périlleusement pour ajouter en gros chiffres l’année de leur promo ; et ce
depuis le début du siècle passé. Arco fut en 1955 la première communauté dans
le monde à être éclairée par l'énergie électrique nucléaire. A la sortie du
bourg, nous remarquons que le village se trouve au carrefour des routes 93, 20 et
26. En roulant, nous constatons la présence de plusieurs énormes laboratoires
de recherches. Les champs, riches des sédiments volcaniques, favorisent une
agriculture florissante. Régulièrement nous voyons des systèmes d’arrosage de
très large amplitude qui arrosent les cultures. A onze heures nous atteignons
le « Craters of the Moon National Monument & Reserve ». Un arrêt
panoramique avant l’entrée du parc permet de découvrir, en bordure des champs
de roches volcaniques, un dinosaure en bois réalisé par John Grade. Proche du
squelette de l’animal, une interview est en cours de tournage. Au
« Visitors Center », un panonceau indique en pieds que nous sommes à
une altitude de 1815 mètres. Un plan est à disposition des visiteurs. Rachel
nous accueille à l’entrée du parc. Nous acquittons un droit de dix dollars par
voiture ; quelques deux cent mille véhicules passent chaque année devant
la guérite en bois où officie un Ranger. Un océan de roches volcaniques
embrasse tout l’horizon. Un paysage lunaire se dévoile. Un vent chaud et fort
sera notre compagnon pendant toute la durée de la visite du parc. Après un
premier cheminement le long d’un parcours, délimité parmi les roches
volcaniques parcourues de racines de lave, aux formes spectaculaires nées de la
fantaisie de la Nature, nous déjeunons à côté d’un arbre mort dont la
silhouette figée a été habillée de bandelettes de pierre par l’artiste Jason
Middlebrook. Durant le pique-nique, chahuté par le souffle du vent, nous
profitons de l’ombre née des roches et des arbres proches du banc où nous
sommes assis. Après le repas nous reprenons la route où la vitesse est limitée
à vingt-cinq miles par heure dans le parc. Des arbres morts entrent
régulièrement dans notre champ de vision. Leur décès est dû à la maladresse des
premiers responsables du parc qui agressèrent tragiquement quelques six mille
arbres en les privant de leur symbiote naturel, indispensable à leur survie.
Aveuglés par leur pensée erronée et leur vision de la beauté, les décideurs
pensèrent qu’il s’agissait de parasites. Nous sillonnons à pieds le sentier du
verger du Diable sur un peu moins de un kilomètre. De magnifiques fleurs
endémiques aux laves volcaniques se dévoilent. Le seul fond sonore découle du
souffle du vent. Les oiseaux, les insectes et les animaux sont absents du parc.
Des arbres morts expriment leur désarroi par leur silhouette torturée. Je suis
attristé par les conséquences sur les arbres des certitudes erronées des
premiers gardiens du parc. Par endroits la terre est couverte d’écorce de lave,
telles des racines noires nervurées qui s’enlacent gracieusement. La lave venue
des fissures terrestres et des éruptions volcaniques s’est solidifiée en
générant des agrégats aux silhouettes créatives et expressives. De grands
rochers, emportés comme des fétus de paille en leur temps par la lave
incandescente, ponctuent le paysage désertique. Nous reprenons la route. Plus
loin nous grimpons sur le haut du cône d’un ancien volcan, nommé « Inferno
Cone ». L’ascension est hautement freinée par le puissant souffle du vent
qui me coupe la respiration de temps à autre. Parvenus au sommet, nous sommes
éblouis par le panorama qui s’offre à nous. Les chaînes de montagnes au
lointain et la plaine à perte de vue se dévoilent à l’infini. Chaque pas est
une danse avec le vent, et chaque avancée est une joute ludique avec Eole dont
chaque souffle est une rafale. Des photos sont prises. Les cheveux se dressent.
Les vêtements sont plaqués au corps ou se gonflent de vent au rythme de nos
mouvements ralentis par la puissance des déplacements d’air. Nous redescendons
joyeusement de l’ancien volcan. En voyant un bambin courir à pleines jambes
vers le sommet, Patrick informe son père que la puissance du vent pourrait
emporter son fils. Nous continuons de serpenter en voiture sur la route du
parc. D’autres arrêts offrent de partir à l’assaut d’autres cônes volcaniques.
Après ces instants magiques sur une « autre planète », nous revenons
sur Terre car il nous reste encore de la route à suivre pour joindre notre prochaine
étape. Une centaine de miles sont à parcourir sur la plaine qui se vallonne
aléatoirement. Avant d’arriver à destination, nous longeons sur des miles des
champs de cultures à perte de vue. Il s’agit de l’entreprise « Driscoll
Brothers ». Les frères cultivent les savoureuses pommes de terre
« Idaho Potatoes ». Les sols fertiles du bassin de la rivière
« Snake », combinés avec des journées chaudes et des nuits fraîches,
contribuent au succès de l’entreprise qui cultive également des betteraves, du maïs
et d’autres céréales. En arrivant à Twin Falls, alors que nous traversons le
pont « Perrine Memorial Bridge », nous sommes ébahis de constater la
présence d’un énorme canyon où coule la rivière « Snake ». Il s’agit
du « Snake River Canyon », un fabuleux canyon, profond de quelques
cent cinquante mètres et long d’environ quatre-vingt kilomètres, formé le long
de la rivière Snake dans la vallée « Magic Valley ». Le canyon sépare
les comtés de « Twin Falls » au sud et de « Jerome » au
nord. Les chutes de Shoshone, situées huit kilomètres à l'est du pont Perrine,
s’annoncent plus hautes de onze mètres au regard de celles du fleuve Niagara. A
la sortie du pont, nous nous rendons chez Barnes & Noble sur Pole Line Road
East à Twin Falls. Cafés Mochas et douceurs sont savourés tout en découvrant
livres et magazines. Je feuillette tour à tour un magazine sur la féérie et un
autre sur les trains. Les minutes glissent agréablement sur la trame du temps.
En sortant du célèbre libraire, nous traversons à nouveau le pont. Une aire de stationnement
est prévue pour les touristes. Nous découvrons le canyon grâce à un passage
aménagé sous le pont. La vue des falaises, de la vallée, de la végétation
luxuriante et du fleuve est un enchantement pour les yeux. Vers dix-sept heures
trente, nous arrivons au Comfort Inn & Suites de Jerome, une ville de
quelques dix mille habitants, siège du comté du même nom. La dernière soirée
dans l’état de l’Idaho se déroule agréablement dans le confort de la chambre
205 attribuée à notre arrivée par une charmante jeune femme brune à la
silhouette légèrement potelée. Lecture et écriture précèdent l’entrée au pays
des rêves…
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