Nous sortons
du pays des songes à cinq heures trente. Les rites matinaux laissent place au
petit-déjeuner. La majorité des tables du pont sept sont occupées. Celle dans
le bow-window à tribord se libère et nous prenons place en bordure de la
promenade. Sur la droite l’île de Manhattan se dévoile. Sur la gauche, à
distance, la statue de la liberté dresse sa légendaire silhouette. Des
passagers sont accoudés aux rambardes, tout en sirotant une boisson chaude pour
certains. Des regards embrassent l’horizon alentours et pour certains voyageurs
c’est leur première fois à New York. Des couples prennent des photos et se font
immortaliser devant l’œuvre de Bartholdi. Nous savourons les mets sélectionnés
au buffet. Je me fais plaisir avec deux croissants au beurre que je trempe dans
un mug de chocolat chaud. Nous libérons la cabine pour Dennis qui va la
préparer pour les prochains voyageurs ; le navire repart pour l’Europe
dans la soirée. Vers huit heures trente nous écoutons les messages sur le téléphone
portable. Un message de Ginette du jeudi 12 mai nous annonce la mort de Jean dont
la sépulture a eu lieu le vendredi 13. Jean fut un des vice-présidents, très
efficace et très apprécié, de l’association Stop à la détresse morale que j’ai
présidé pendant une vingtaine d’années. Nous partageâmes de bien beaux épisodes
de vie associative riches d’amitié. La narration de la journée d’hier est
amarrée sur le chronojournal. Patrick prend des photos depuis le navire où le
flot rythmé des voyageurs remplace celui de l’océan. Les dix heures quinze
passent… Nous débarquons. Nous suivons une file d’attente durant environ une
heure pour passer le contrôle des douanes. Un visa à échéance au 14 août 2016
est apposé sur chacun des deux passeports. La jeune agente présente à la
guérite offre un visage empreint de lassitude, voire d’amertume, devant le côté
répétitif de sa fonction. Tel un robot, elle agit par automatisme et mon
souhait de bonne journée glisse sur elle comme une goutte d’eau sur les plumes
d’une cane. L’empreinte digitale des dix doigts des mains et une photo
anthropométrique de face sont prises devant un visage inexpressif. Une fois à
l’air libre, nous marchons vers la sortie du port. Nous nous retournons pour
prendre une photo du navire qui embrasse tout l’horizon. Nous suivons tour à
tour « Clinton Wharf » et « Pioneer Street ». Le long de
cette dernière rue, au numéro 98, sur le bord du trottoir au pied d’un arbre, devant
une habitation à la porte bleu ciel et aux murs en briquettes rouges encadrées
de ciment blanc, deux livres dévoilent au sol leur page de couverture : « Sex
with Shakespeare » de Jillian Keenan et « The books that changed my
life » édité par Bethanne Patrick. La présence de ces deux ouvrages m’interpelle…
Nous bifurquons à gauche en parvenant au « Coffey Park » pour marcher
sur « Richards Street ». Un ballet sonore de tondeuses chevauchées
par des jardiniers évolue sur les espaces verts parfaitement entretenues. Des
arbres élancés aux branches fournies et aux feuillages printaniers parsèment le
coquet petit parc. Plus loin nous prenons à droite dans « Seabring Street »
où se situe au numéro dix-sept l’hôtel « Comfort Inn », lieu d’un
séjour réservé de quelques nuits. Nous atteignons notre objectif une vingtaine
de minutes après avoir quitté le port. Midi s’annonce. Les bagages sont
déposés, le check-in étant prévu à seize heures. Notre hôtesse imprime un plan
pour joindre notre destination suivante. Nous empruntons une passerelle
piétonne qui enjambe un ample réseau d’autoroutes. A l’angle de Coles Street et
d’Henry street, je photographie sur un mur en brique le blason circulaire « Board
of education – City of New York » et une sculpture d’un possible sportif. Un
camion de pompier s’approche à grande vitesse, toutes lumières clignotantes et
sirène hurlante. Nous empruntons la voie « 4th Pl. » bordée d’habitations
mitoyennes pourvues de jardinets créatifs entourés de courtes barrières en fer
forgé noir ouvragé. Dans l’un d’eux, au pied d’un arbre, deux angelots expressifs
en pierre blanche se racontent fleurette. Un échafaudage positionné en haut d’un
logement montre deux hommes affairés à rénover la façade en briques du mur.
Nous passons sous un pont où une rame du métro circule à grand bruit. Après un
court trajet sur Smith street, nous arrivons dans la rue de notre destination.
Avant d’atteindre le Whole Foods Market au numéro 214, sur la partie gauche de
la chaussée, des œuvres enfantines peintes se dévoilent contre un long mur surmonté
d’un grillage. Je photographie une peinture de Paulina Brown âgé de six ans. Le
supermarché organic voit son parking planté de petites éoliennes. A l’extrémité
des perches métalliques, les ailettes noires disposées en vrille autour de leur
axe virevoltent au léger souffle du vent. Une manière bien efficace de
collecter de l’énergie. Vers treize heures, Keya nous accueille à la caisse. La
jeune femme souriante, à la peau d’ébène, demande avec de petits rires à connaître la traduction en
français de « Comment allez-vous ? ». Nous déjeunons dans l’espace
réservé à la clientèle avec les mets sélectionnés au buffet en self-service. Je
transferts ma sélection dans une ample jatte de couleur crème. Mocha et
chocolat chaud au lait d’amande terminent le repas. J’écris une carte de
sympathie, achetée dans le magasin, à l’attention de Christine, l’épouse de
Jean décédé lors la traversée de l’océan. Les mots s’écrivent avec émotion sur
le bristol décoré d’un paisible lac de montagne. Un peu avant quinze heures,
quelques gouttes de pluie nous accueillent à la sortie du supermarché. Nous
nous rendons à la Citibank sur la septième avenue pour effectuer un retrait en
dollars. Nous flânons en chemin. Nous admirons la magnifique architecture de
diverses constructions anciennes qui jalonnent le parcours emprunté. Des photos
coup de cœur sont prises. Après le retrait nous décidons de suivre la rue
Carroll dont la phonétique du mot évoque une œuvre de Charles Dickens. Les
gouttes d’eau continuent de s’échapper aléatoirement des nuages. A un moment
donné, une peinture murale animalière colorée et ludique captive le regard. Plus
avant, un ancien château d’eau à la citerne cylindrique en bois noir trône au-dessus
d’un bâtiment cubique à la façade grège. La structure sur pilotis se détache
avec un effet saisissant sur fond de ciel blanc craie. Je pense au far-west d’antan…
A l’angle avec Smith street, nous repérons le café « Smith Canteen ».
Nous décidons d’entrer pour nous désaltérer. Limonade et jus d’orange pressé
sont réglés en caisse à seize heures quatorze pour un peu plus de sept dollars.
Installés dans un angle de la vitrine à une petite table bistro en marbre blanc,
nous laissons les minutes s’écouler dans le bien-être. Un article de journal de
Marie Claude Foster à propos de la maladie d’Alzheimer de sa mère est photographié.
Il est intitulé « Sans les souvenirs, profitez de l’instant présent ».
Avant de quitter le sympathique café, nous photographions nos reflets dans un
miroir. Les dix-sept heures approchent. Après un repère d’une proche station de
métro, nous prenons la direction de l’hôtel. Une dernière photo est prise sur « 4th
Pl. » qui montre un jardinet planté d’un arbre à la base fleurie. Ecriture
et lecture embellissent la fin d’après-midi. Nous dînons dans la chambre 412
attribuée au quatrième étage. Depuis la fenêtre nous constatons que la
silhouette du QM2 a disparu du panorama portuaire. Il vogue vers l’Europe. Je
déguste des cassis et des mûres achetées au Whole Foods. Houmous et pain marbré
sont savourés par Patrick. La soirée se déroule agréablement dans le confort de
notre chez nous à Brooklyn…
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