Aux aurores
Patrick photographie le lever du soleil qui se dessine timidement à l’horizon dans
un ciel baigné de nuages compacts. Ecriture, lecture, recherches sur Internet
ponctuent le déroulement de la matinée après le petit-déjeuner. Patrick s’amuse
à capturer depuis l’iPad un objet virtuel dans Chicago via l’application
gratuite Pokémon GO qui semble affoler beaucoup de monde. Cette nouvelle
expérience de jeu utilise la géolocalisation et la réalité augmentée. Le joueur
aguerri doit se déplacer physiquement dans le monde réel afin de débusquer à
l’aide de son iPhone, par exemple, des créatures virtuelles placées dans son environnement.
Le jeu va prochainement débarquer en France… A midi nous déjeunons chez
« Freshii », un restaurant végétarien situé sur la rue Monroe à
quelques blocs de notre hôtel. Ivette nous accueille à la caisse. Je choisis de
tester un « Pangoa Bowl » et Patrick opte pour un « Pesto
Bowl ». Tout en savourant les mets assis en bordure de la vitrine, nous
regardons le mouvement de la vie. L’hôtel adjacent semble être pourvu d’un
nombre de chambres impressionnant car durant le repas nous assistons à un défilé
continuel de taxis, de voitures particulières, de diverses navettes pour
l’aéroport et de véhicules « Uber », ces derniers commandés par les
clients via leur Smartphone. Les concierges de l’hôtel prêtent la main aux
clients pour prendre ou déposer les bagages dans les coffres ; les dollars
changent de main grâce à la magie des pourboires. De belles recettes en
perspective… Les passants défilent également ; la majorité est affairée
avec un téléphone portable. La faculté de l’être humain à se déplacer au
« radar » les yeux occupés est étonnante. Patrick sirote un jus Naked
fraise banane ; la sauce grasse pesto lui ayant donné soif. Le restaurant Freshii,
situé dans l’enceinte de l’hôtel emblématique « Palmer House Hilton »,
est privé de toilettes.
Nous pénétrons dans le vaste établissement à la recherche des lieux d'aisance.
Bredouilles au niveau de la rue, nous prenons un escalier roulant très étroit
pour monter à l’étage supérieur. L'émerveillement commence. Sur nos têtes surprises,
un haut plafond voûté richement décoré se dévoile à nos yeux ébahis. Des
arches, des frises, des lustres, des chandeliers muraux grandioses et d’autres
ornements nous introduisent plus d’un siècle en arrière. Une atmosphère d’authenticité
et de raffinement nous enveloppe. Toutefois, la présence de clients affairés à
divers appareils électroniques témoigne que nous sommes bien au vingt-et-unième
siècle. Nous trouvons les toilettes en haut d’un corridor incliné au sol garni
d’une épaisse moquette aux fastueux motifs. Je sirote ensuite un café Mocha au
Starbucks repéré dans l’hôtel non loin du Freshii. La décoration reflète timidement
le faste du niveau supérieur. Nous nous installons dans une banquette d’angle
aux assises en cuir glacé marron. Sur un pan de mur du coffee diverses théières
sont exposées sur des petites tablettes. Je prends en photo un modèle tibétain
en bronze. Après un temps à siroter la boisson, nous sortons du Hilton. Vers
l’entrée, une plaque apporte quelques précisions sur l’histoire de l’édifice
qui abrite l’hôtel. Il a grandi et s’est étoffé avec les années au fil des deux
derniers siècles. Pour la petite histoire le président Grover Cleveland y
séjourna … tout comme les
écrivains Mark Twain et Oscar Wilde. Nous nous dirigeons vers le parc Grant
pour nous rendre au musée « Art Institute of Chicago » dans le
dessein de découvrir l’exposition « America after the Fall : Painting in
the 1930 ». Le musée trône en bordure du parc Grant le long de l’avenue
Michigan au niveau de la rue Adams. Nous empruntons la passerelle aérienne
« The Nichols Bridgeway », inspirée de la coque d’un bateau, qui
enjambe la rue Monroe pour se connecter au troisième étage de la partie moderne
du musée, toute de parois de verre et de profils en aluminium. Mis en service
en 2009, muni d’un plancher chauffant anti glace, le pont porte le patronyme
d’Alexandra et John Nichols, de riches donateurs. Nous marchons sur environ
deux cents mètres au-dessus du sol. Une vue pénétrante de la rue Monroe est
capturée par les appareils photos. Nous accédons au musée par le troisième
étage au niveau de la terrasse « Bluhm Family » où des sculptures de
Juan Muňoz sont présentées. Elle jouxte le restaurant « Terzo Piano ». Nous nous rendons
ensuite au premier niveau où Amy nous accueille au guichet des tickets
d’entrée. Nous lui parlons d’Amy Pond, la collaboratrice du Dr Who. La jeune
femme à la longue chevelure blonde nous répond en riant qu’elle a vu seulement
deux épisodes de la célèbre série britannique. Robin, une « Viola
Davis » qui a perdu son sourire, scanne les tickets comme une automate.
Nous entrons dans les galeries 182-184 pour découvrir l’exposition choisie. Des
œuvres de différents peintres américains se dévoilent. Le thème porte sur les turbulentes
années trente lors de la grande dépression suite au crash boursier et
économique de 1929. Sur fond de probable seconde guerre mondiale et de
grandissante menace fasciste à l'étranger, les artistes de l'époque révélèrent
leurs visions individualisées d’une nouvelle identité à construire aux États-Unis.
L’exposition rassemble des œuvres de certains des plus grands artistes de
l'époque dont, pêle-mêle, Edward Hopper, Georgia O'Keeffe, Marvin Cone,
Reginald Marsh, Stuart Davis, Joe Jones, Thomas Hart Benton, Alexandre Hogue,
Grant Wood …et d’autres encore. La prise de photos de tableaux est autorisée,
cependant quatre œuvres s’avèreront interdites à photographier. Le pourquoi
nous échappe. Encore ignorant de cette interdiction, une garde de la sécurité
m’interpelle pour m’interdire de prendre un cliché d’une œuvre prohibée sur le
racisme liée au Ku Klux Klan. Les œuvres d'art des divers artistes se rejoignirent
en leur temps pour évoquer la mutation du rêve américain dans de nouveaux
regards pionniers sur le monde économique, politique et esthétique. Les visiteurs
sont très nombreux. Les seize heures approchent à la fin de la visite. Nous
montons au second niveau pour siroter un café Mocha au « Caffè
Moderno ». Les places assises libres sont rares. Après un bref temps de
détente Patrick me prend en photo devant une « Mary Poppins » en
coquillages roses, une œuvre de Katharina Fritsch, une artiste allemande née en
1956. Nous découvrons ensuite, dans la galerie 188, une exposition de photos en
noir et blanc des artistes de race noire Gordon Parks, photographe et cinéaste,
et Ralph Ellison, tous deux amis et reconnus comme des figures majeures de
l'art et de la littérature américaine. Ellison est l’auteur du roman
« Invisible Man », édité en 1952, l’un des ouvrages les plus acclamés
de son époque. Nous visitons ensuite les deux magasins de souvenirs du musée,
celui de la partie moderne et celui de la partie ancienne. Les dix-sept heures
sonnent quand nous sortons de l’Institut de l’Art. Nous nous dirigeons au
supermarché Trader Joe’s en suivant l’avenue Wabash. Je prends en photo un mur
attrayant pourvu d’escaliers de secours métalliques où une fresque d’un théâtre
s’efface avec le temps. Dans un parking, Patrick me prend en photo devant un
personnage volant d’un Comics. Dans le magasin nous décidons de dîner dans la
chambre. Ce choix s’avèrera opportun. La jeune Kelsey nous accueille à la
caisse. Nous retournons nonchalamment au Congress Plaza en suivant l’avenue
Michigan. Le ciel se couvre rapidement. Un violent orage éclate alors que nous
sommes dans la chambre depuis une trentaine de minutes. Le ciel s’assombrit
pour devenir noir. La luminosité disparait. Des trombes d’eau dévalent des
nuages. Tels des rideaux de théâtres en mouvement, des cascades de pluie
balaient la ville sous la puissance du vent déchainé. Nous dînons devant ce
spectacle grandiose offert par la Nature. Des éclairs zèbrent le ciel de toutes
parts ; Patrick parvient à en photographier quelques-uns. Durant la soirée
nous assistons depuis le onzième étage à une intervention énergique des
pompiers. L’habitacle d’une voiture a pris feu à une courte distance devant
l’hôtel. Patrick prend des photos. La réalité est parfois plus impressionnante
que les films policiers où ce genre d’évènement est fréquent. L’orage se
déroule tel un opéra en plusieurs actes. Lors d’un entracte, un arc-en-ciel superbe
nappe le ciel au-dessus du lac. Sur fond de gratte-ciels éclairés, le coucher
de soleil participe à la féerie des éléments. L’horizon s’embrase d’or et de
rose. Les arches éclairées et colorés du « Chicago Shakespeare
Theater » donnent l’impression de trois superbes dômes scintillants. La
roue touristique s’est parée de bleu indigo et les jets d’eau luminescents de la
fontaine Buckingham s’élèvent dans le ciel nocturne devenu d’un noir d’encre.
Les yeux emplis de couleurs et de magie, nous entrons facilement au pays des
rêves…
[Les titres des œuvres et les noms des peintres figurent sous les tableaux]
[Les titres des œuvres et les noms des peintres figurent sous les tableaux]
"The Dark Figure" de Federico Castellon (1914-1971)
"Bombardment" de Philip Guston (1913-1980)
"Lenin" de Louis Guglielmi (1906-1956)
"The Eternal City" de Peter Blume (1906-1992)
"Mental Geography" de Louis Guglielmi
"Death on the ridge road" de Grant Wood (1891-1942)
"Saturday night" de Archibald J. Motley (1891-1981)
"The Fleets's in" de Paul Cadmus (1904-1999)
"The passion of Sacco and Vanzetti" de Ben Shahn (1898-1969)
"Aspiration" de Aaron Douglas (1899-1979)
"Haystack" de Thomas Hart Benton (1889-1975)
"Mother Earth Laid Bare" de Alexandre Hogue (1898-1994)
"Young corn" de Grant Wood
"Cradling wheat" de Thomas Hart Benton
"Fall Plowing" de Grant Wood
"Roustabouts" de Joe Jones (1909-1963)
"New York Paris n°3" de Stuart Davis (1892-1964)
"American Gothic" de Grant Wood
"Cas" de Edward Hopper (1882-1967)
"Twenty Cent Movie" de Reginald Marsh (1898-1954)
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