Durant la
nuit le navire dépasse silencieusement la ville de Juneau pour se diriger vers
le fjord « Tracy Arm Fjord » qui tient son nom de Benjamin Franklin
Tracy qui fut secrétaire de la Marine des Etats-Unis au début des années 1890
lors du mandat du 23ème Président Benjamin Harrison. L’Explorer of
the Seas parcourt environ soixante-dix kilomètres au sud de la capitale pour
parvenir à l’embouchure du fjord. Téméraire au regard de sa taille, riche de
milliers de vies à bord, endormies pour la plupart, le paquebot glisse dans la
nuit noire sur les eaux cristallines tout en perturbant les glaces flottantes
qui se reposent. La silhouette fantomatique du paquebot, à la fois insignifiante
et grandiose, pousse délicatement les petits icebergs, parcourt à « pas
feutrés » l’ancienne vallée glacière envahie par la mer qui s’est enfoncée
profondément dans les terres sur plus de trente kilomètres. Les quatre heures
du matin passent dans cette sérénité silencieuse et le jour se lève.
L’explorateur solitaire à la coque d’acier est salué vers cinq heures par un
des deux glaciers jumeaux « Sawyer » qui lui barre la route. Arrivé
au terme de son avancée silencieuse, le commandant du navire active une
navigation rotative lente à 360° pour offrir aux passagers qui s’éveillent le
panorama majestueux du fjord. A six heures, nous tirons les rideaux de la
cabine. Patrick, appareil photo en main, immortalise par de nombreux clichés le
spectacle époustouflant qui s’offre à nos yeux éblouis. Les moraines, les
falaises abruptes couvertes irrégulièrement de végétation luxuriante, bordent
le fjord impavide et majestueux. Des cascades se dessinent sur les larges
falaises et les chutes d’eau hésitent à plonger dans les eaux glacées du fjord.
L’impressionnant glacier
« Sawyer » nourrit les eaux glaciales de la crique par son extrémité
déchiquetée qui libère régulièrement des fragments de glace aux tailles variées.
Ours, phoques, oiseaux et autres habitants vivent dans cette vallée glaciaire
loin de l’agitation humaine. Les cristaux de glace bleutés, aux formes
créatives et aux envergures changeantes, bercés imperceptiblement par les eaux
du fjord, reflètent la lumière qui s’intensifie progressivement. Le bleu
indigo, le bleu ciel, le bleu marine, le bleu cobalt et bien d’autres nuances,
pastel et vives, participent à une féérie aquatique à la lisière du glacier
dont la course semble s’être arrêtée comme par magie. Lors du petit-déjeuner,
au travers de la structure en aluminium brossé de la verrière inclinée, je
prends en photo, sur fond de glacier impassible, la surface de l’eau qui
fourmille de milliers de cristaux de glace dans un puzzle en mouvement jamais
terminé. Dans la matinée, sous l’éclat de quelques rayons solaires infiltrés au
travers du manteau nuageux clairsemé, la surface de l’eau participe à la féérie
aquatique en s’illuminant de nuances de bleu. Avant midi, la rotation en boucle
cesse et le navire rebrousse chemin pour sortir du fjord. Quelques icebergs
nostalgiques de notre départ, auréolés de bleu turquoise, nous escortent dans
un au-revoir sur une partie de la vallée glaciaire. Vers treize heures, le
paquebot entre dans le passage Stephens. Il va suivre le bras de mer jusqu’à
l’océan Pacifique. De notre côté, après le déjeuner savouré au buffet, nous
assistons au Studio B, au pont trois, à une autre féérie sur glace. Installés
au bord de la patinoire du navire, nous nous émerveillons du talent des
patineurs et patineuses de l’Explorer of the Seas qui nous offrent le spectacle
haut en couleur intitulé « Spirits of the seasons » « Esprits
des saisons ». Tout en admirant les différents tableaux et scènes de vie
saisonnières, nous prenons quelques photos à la volée. L’air ambiant est aussi
froid que la glace et je supporte aisément le pull à col roulé acheté en Suède.
Ces instants de poésie saisonnière se terminent et nous retournons à la cabine.
La suite de l’après-midi se déroule principalement entre écriture, lecture et
farniente. Le blog s’actualise progressivement. Une pause détente au café
Promenade offre de siroter des cafés Mochas tout en promenant le regard sur les
visages des passagers qui défilent sur le pont cinq. Je photographie un immense
lustre futuriste en acier chromé le long de la Promenade Royale ainsi que trois
élégants cabriolets. Veronica, une sympathique jeune femme brésilienne, nous
accueille ensuite au « Guest Service Desk » pour la réservation de
deux places dans un bus à destination du centre-ville de Seattle le jour du
débarquement. Veronica a appris le français parlé avec des amis et lors de ses
fonctions dans différents grands hôtels. Elle évoque le Portugal dont la langue
brésilienne est issue. Tout comme Patrick, son poète portugais préféré est
Fernando Pessoa… Après le dîner apprécié au buffet Widjammer, en allant au Théâtre
Palace, je rencontre pour la première fois Tedy, le jeune homme indonésien qui
s’occupe de l’entretien de la cabine. Nous assistons à vingt-heures trente au
show de Paul Boland. Avant sa prestation, grâce à la magie du Kindle, je
rejoins Eldeflar et Orufis dans les Royaumes illuminés. Sur le programme
journalier, Paul est annoncé comme le chanteur aux mille voix. Lors d’une
imitation vraiment très longue de Kermit, la marionnette grenouille du « Muppet
Show », où Paul fait monter sur scène une ribambelle d’enfants, je pense à
Thierry Le Luron, mort à
34 ans en novembre 1986, un humoriste célèbre pour ses imitations de chanteurs
et de personnalités politiques. Après le spectacle Morphée nous accueille pour
la nuit…
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