Lors
petit-déjeuner au buffet du pont onze, depuis la table à la poupe où nous
sommes installés en bordure du vitrage curviligne, nous assistons à un ballet
aquatique effectué par des baleines. Des geysers jaillissent par endroits et
Patrick parvient à photographier tantôt un dos, tantôt un aileron. Des
voyageurs approchent et nous entourent pour assister à cette chorégraphie
inopinée… Vers neuf heures trente le paquebot navigue le long du passage
Stephens, un bras de mer du sud-est de l'Alaska, d’une centaine de miles, situé
dans l'archipel Alexandre entre l'île de l'Amirauté à l'ouest et l'île Douglas
à l'est. Son nom lui fut donné par George Vancouver en 1794 en l'honneur de Sir
Philip Stephens, premier
secrétaire de l'Amirauté britannique à la fin du 18ème siècle. Vers
dix-heures trente, le navire glisse lentement le long du détroit de Gastineau
sur les seuls quinze kilomètres navigables pour les gros bateaux. La ville de
Juneau est proche. Patrick prend régulièrement des photos depuis le balcon. Par
endroits des maisons sur pilotis se sont construites aux pieds des forets qui
bordent le détroit. Le blog est actualisé. Nous montons au pont quatorze au
« Viking Crown Lounge » pour profiter d’une vue panoramique sur la
ville de Juneau, sans avoir à subir les assauts du vent. Une photo montre la présence
de deux autres navires amarrés. Un membre d’équipage déguisé en corbeau se
promène sur le pont douze pour des captures de photo avec les passagers. La
ville de Juneau, forte d’environ trente mille habitants, capitale de l’Alaska
depuis 1906, est la seule de toutes ses consœurs à ne pas être reliée au réseau
routier des États-Unis ; le seul moyen de s'y rendre est l’avion ou le
bateau. La ruée vers l’or aidant, un camp de prospecteurs s'installa au bord du
détroit ; la localité fut véritablement créée en 1881. Elle fut baptisée
« Juneau » en hommage au mineur canadien-français Joseph Juneau,
originaire de la paroisse de Saint-Paul l’Ermite au Québec. Nous allons ensuite
visiter la chapelle située au pont quinze en-dessus du lounge. Elle partage son
espace avec une aire de jeux pour enfants ; une vision plutôt insolite. Différents
livres de cultes sont présents dont celui des Mormons ; Patrick regarde un
ouvrage. Avant de déjeuner au buffet, nous nous rendons au pont quatre pour
découvrir des peintures de Thomas Kinkade, un artiste révélé à nos yeux pour la
première fois à Las Vegas en 2005. Des œuvres du peintre Pino Daeni, riches de
relief étonnant et de profondeur animée, se dévoilent. Cet artiste italien, de
passage sur Terre entre 1939 et 2010, fut doué sa vie durant pour animer ses
toiles du mouvement et des expressions de ses modèles. Les yeux emplis de
beauté créative, nous savourons le repas installés à la poupe du navire. Sieste
et lecture précèdent la descente à terre. Une navette nous dépose au port. Le
navire « Radiance of the Seas » trône au bord du centre-ville que
nous allons commencer à découvrir. Un groupe d’enfants en cape bicolore, au
rouge et noire séparés par une multitude de petits cercles blancs, captive
l’attention des touristes. Chaque cape est décorée d’un motif tribal indien
différent. Le cortège s’active et passe devant nous au niveau du téléphérique
qui, pour trente-trois dollars par personne, dépose ses passagers sur le Mont
Roberts surplombant la ville. Nous marchons le long de Franklin Street, nous
passons devant la bibliothèque publique à la silhouette grise austère décorée d’art
en relief. Nous arrivons devant le Coffee « Heritage Coffee Rosting
Co. » ; nous décidons d’entrer pour siroter du café Mochas. La jeune
Sierra, juste vêtue d’un léger tee-shirt orange aux épaules dénudées, nous
accueille et prépare les boissons. Elle est la seule personne pour tenir ce
petit café. Installés en bordure de la vitrine, nous posons les cafés sur un
magnifique plateau en épais bois clair chantourné. Nous reprenons la découverte
de Juneau et nous sillonnons les proches alentours. Le centre-ville, aux pieds
des monts Juneau et Roberts, présente un charme pittoresque avec des rues
étroites et souvent inclinées qui dévoilent aux regards des maisons anciennes
et récentes dont certaines sont accessibles par un réseau d'escaliers muni de
passerelles et de plateformes intermédiaires. Je suis séduit par le charme de
certaines maisons colorées aux formes créatives ; certaines épousent avec
bonheur les courbes des diverses collines qui entourent le centre. A divers
endroits des fresques attirent le regard ; certaines sont photographiées. Sur
Gold street, une plaque d’immatriculation est prise à l’arrière d’une voiture
entourée de fleurs. Plus haut sur la rue fortement inclinée, une série de boîtes
aux lettres est photographiée ; le facteur évite ainsi de grimper les
escaliers pour accéder aux diverses maisons édifiées sur le flanc du mont. Nous
prenons à gauche dans la quatrième rue où une enseigne suspendue grince au vent
en parlant de Benjamin R. Gilbert, un dentiste diplômé. Nous tournons à droite
dans Franklin street qui croise la cinquième rue où s’offre au regard la
tourelle octogonale bleue et blanche de l’église orthodoxe St Nicholas de
Russie. La sixième rue est atteinte. Nous la parcourons. Une coquette et
séduisante villa vanille aux toitures enchevêtrées en tôle vert sauge divulgue
son charme. A l’angle avec Main Street, une magnifique villa sur plusieurs
niveaux me captive ; frises en écailles, liserés marrons, encadrements
divers crème, balustres des rambardes dans les mêmes nuances, toitures
ouvragées, corps avancé, jacobine, lambris gris-bleu-vert sont quelques atouts
de cette maison de charme. Un garage en annexe pour deux voitures étoffe la
propriété ouverte sur la rue. Le long de la septième rue, en face d’une maisonnette
prune aux encadrements de fenêtres blancs, nous passons devant la demeure historique
du juge James Wickersham, délégué de l’Alaska au Congrès, dont le passé semble
trouble selon des informations recueillies sur le web. La demeure fut achetée par
le juge en 1928, onze ans avant sa mort. Deux chevalets donnent des
explications historiques. De temps à autre durant la découverte de la ville, des
gouttes de pluie s’échappent des nuages ; les K-ways sont enfilés et
quittés régulièrement. Dans le panorama, un flanc de colline est couvert de
maisons colorées. Sur East street, une étonnante bâtisse en bois couleur miel,
accrochée à la montagne, se maintient en équilibre par une multitude de poutres
et de piliers disposés sous le plancher baigné dans le vide ; l’accès se
fait par un escalier tortueux qui grimpe jusqu’au perron. Nous nous retrouvons progressivement
et inopinément dans le centre. Nous décidons de nous désaltérer dans un second
coffee Heritage, à la vaste salle boisée, repéré vers quinze heures après
l’achat du livre « Looking at Indian Art of the Northwest Coast » de
Hilary Stewart chez le libraire « Hearthside Books & Toys » sur Front
street. Installés à une petite table sur une estrade accessible par trois
marches, nous constatons derrière nous, assis dans un salon confortable en cuir
noir, trois des danseurs de la troupe du navire, tous trois affairés sans
relâche sur leur téléphone portable. Les cafés Mochas sont sirotés lentement en
savourant une douceur : un scone orange cranberry pour Patrick et un
cookie avoine raisins secs pour moi. En dessus de notre table, sur le panneau
en bois lambrissé, un tableau se dévoile. Il représente diverses figures
animalières mythologiques dont le « Raven », le corbeau d’Alaska, qui
est selon la légende l’être métamorphe le plus intelligent à même de prendre
toutes les formes imaginables. La peinture montre un Raven découvrant
l’Humanité dans une coquille de palourde. Les dix-sept heures passent quand
nous sortons de ce lieu de détente animée ; la présence au port de trois
navires de croisières participe grandement à cette animation. Nous marchons à
nouveau sur Main Street avec cette fois l’objectif de trouver la maison du
Gouverneur, indiquée dans la ville et pourtant restée cachée lors de notre
première promenade. Elle dévoile finalement son charme sur l’insolite Calhoun
Street à l’angle avec Indian. Un panneau de bienvenue en Alaska est présent au
bord de la demeure blanche aux volets vert sapin étoffée de deux terrasses dont
une disposée en hauteur sur d’éminentes colonnes. Une lumière brille derrière
la porte d’entrée abritée par un vaste porche à colonnade. Une rue plus loin,
une splendide maison en pierre fauve, en forme de château avec une vaste tour
centrale, est prise en photo. Je suis comblé par la présence insoupçonnée à
Juneau de superbes maisons de caractère. Nous retournons ensuite tranquillement
vers le port en prenant quelques photos, pour reprendre une navette à
destination du navire ancré à environ un mile de son frère le
« Radiance ». Nous constatons que la jeune conductrice blonde
s’active, avec une plateforme élévatrice escamotable, à hisser dans le bus le
fauteuil d’une dame handicapée. Un système ingénieux inconnu pour nous. Les
dix-huit passent quand nous arrivons à bord de l’Explorer. Un temps d’écriture
précède un léger dîner au buffet ; un velouté d’haricots blancs composant
le menu. Le jeune serveur qui évolue dans le secteur où nous dinons est
originaire de Jakarta en Indonésie. Sa frêle silhouette se déplace avec la
grâce d’un danseur. En le regardant, sans trop savoir pourquoi, j’éprouve une
sensation d’abondance universelle et de bien-être permanent. Lecture, écriture
et détente précèdent l’entrée au pays des rêves. A vingt-et-une heure, le
navire Radiance of the Seas glisse à côté du balcon en créant une ombre devant
le coucher de soleil qui commence à embraser le ciel. A vingt-et-une heures
vingt, Patrick immortalise un magnifique coucher de soleil embrasse d’or
liquide la « Gold Creek » du détroit de Gastineau…
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